La Franc-Maçonnerie de 1789 à
1898
Historique
Nous avons précédemment suivi l'
histoire du
Grand-Orient et celle du
Rite Templier jusqu'en 1789 : poursuivons-la jusqu'à
nos
jours.
1° GRAND-ORIENT. Le
Grand-Orient
possédait la tradition à peu près intégrale des trois
premiers degrés et, depuis 1786, la tradition des grades
templiers et autres
formant la Maçonnerie de perfection en 25 degrés et que nous analyserons
par la suite. Un Grand
Collège des
Rites était chargé de
conserver cette tradition qui permettait de relier les maçons issus du
Grand-Orient avec ceux du reste de l'univers.
En 1804, un
concordat fut même établi, pendant
quelques mois, qui donnait au
Grand-Orient le pouvoir de conférer les grades
des 31°, 32° et 33° degrés par l'entremise du
Rite Ecossais
dont nous parlerons bientôt.
Mais, sous prétexte de purger la
Franc-Maçonnerie
des superstitions et des restes du passé, les membres du
Grand-Orient,
poussés par les députés des loges de province, tous plus
ignorants de la valeur des
symboles les uns que les autres, transformèrent
au
goût de la multitude électorale le dépôt qui leur
avait été confié et devinrent un centre de politique active,
professant ouvertement le matérialisme et l'athéisme.
En 1885, la transformation s'étendit jusqu'au
Collège
des
Rites, dépositaire d'un reste de traditions, et le lien qui rattachait
la majorité des maçons français au reste de l'Univers fut
définitivement rompu.
Au moment où elle avait le plus besoin d'étendre
son
influence au dehors, au moment où il était nécessaire
d'exercer une surveillance effective sur l'action de l'étranger dans les
centres maçonniques des autres pays, la France était, par la faute
du
Grand-Orient, mise à l'index, et, lors de l'Exposition universelle de
Chicago, quand le président du nouveau Conseil des
Rites (le plus haut
officier du
Grand-Orient) se présenta à l'entrée des loges
américaines, il fut mis à la porte comme un vulgaire
profane qu'il
était pour les vrais maçons.
Voici la teneur de l'acte si grave commis en 1885 :
Par décret promulgué le 9 novembre 1885,
le Grand-Orient de France, conformément à la décision prise
le 31 octobre précédent par l'Assemblée générale
des Ateliers symboliques de l'Obédience ;
Ordonne la dissolution du Grand Collège des Rites
et charge le Conseil de l'Ordre de veiller à sa reconstitution.
Le grand chancelier protesta de la manière suivante,
mais en vain :
Vous m'avez fait parvenir une ampliation du décret
de l'Assemblée générale des Ateliers symboliques en date
du 31 octobre dernier (1885), prononçant la dissolution du Souverain Conseil
des grands inspecteurs généraux du Rite Ecossais ancien et accepté,
qui, sous le titre de Grand Collège des Rites, constitue, au sein du Grand-Orient
de France, le Suprême Conseil pour la France et les possessions françaises.
Cette décision, qui, sous prétexte de réorganisation,
renverse tous les principes et toutes les traditions de la Franc-Maçonnerie
universelle, est absolument illégale par l'incompétence de ceux
qui l'ont rendue.
FERDHUIL,
Grand Chancelier
du Grand Conseil des
Rites.
On fait tous les efforts possibles, au
Grand-Orient, pour
cacher aux
frères qui entrent dans l'Ordre la manière dont les membres
de ce
Rite sont jugés à l'étranger et on se garde bien de
leur dire qu'ils ne seront reçus nulle part dès qu'ils sortiront
de France ou de quelques-unes de ses colonies. Les grands mots de
raison, superstition écrasée, principes de la
liberté, etc.,
etc., remplacent les traditions de la maçonnerie universelle, et ces grands
niais sont encore bien flattés quand un maçon de marque étranger
vient
en visiteur se rendre compte si la séparation de la France
et du reste du monde est toujours durable. On reçoit avec de grands honnneurs
le visiteur, qui s'empressera, dans son pays, de mettre à la porte le
vénérable
de la loge, s'il ose se présenter, à son tour, à une tenue
à l'étranger.
Aussi le
Grand-Orient est-il destiné à disparaître,
quelle que soit sa prospérité apparente, s'il ne revient pas rapidement
à une meilleure compréhension des intérêts réels
de la nation.
Nous terminerons cet exposé en citant ces quelques
mots d'
Albert Pike :
«
Le Grand-Orient de France a toujours été
entre les mains des trois I, des Ignorants, des Imbéciles et des Intrigants
[Note de l'auteur : Lettre d'Albert Pike au vicomte de la
Jonquière.] ».
Ecossisme
En 1786, le
Rite Templier avait fusionné avec le
Grand-Orient.
Ce
Rite Templier était alors
composé de 25
grades ; il était réellement, en laissant de côté son
but de vengeance politique, un
rite de perfection où les maçons
ordinaires étaient amenés à connaître certains enseignements
concernant la tradition kabbalistique des
Templiers.
Or, en 1761, c'est-à-dire avant la
fusion avec le
Grand-Orient, le Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident avait donné
à un juif nommé Morin les pouvoirs nécessaires à l'effet
d'établir le système
templier en Amérique, où se rendait
ce Morin.
Celui-ci, arrivé à destination, s'empressa
de donner le 25° degré à plusieurs de ses coreligionnaires qui,
de concert avec lui,
initièrent à leur tour plusieurs chrétiens
en 1797.
Quand les nouveaux
initiés se sentirent assez forts,
ils jetèrent leur
initiateur à la porte et, se séparant de
lui, ils ajoutèrent 8 grades
hermétiques aux 25 déjà
existants, ce qui porta le nombre des grades du système écossais
à 33. C'est ainsi qu'ils fondèrent à Charleston, en 1801,
un Suprême Conseil qui devait, par la suite, acquérir une grande
influence. Pourquoi ce chiffre de 33 degrés ? Un ancien maçon, pourvu
de ce grade, M. Rosen, prétend que ce chiffre représente le degré
de latitude de Charleston, c'est peut-être malicieusement vrai ; car nous
verrons que le nombre de grades importe peu, pourvu que le système maçonnique
soit réellement synthétique.
Voici deux tableaux donnant les noms des
frères qui
ont présidé à la naissance du
Rite Ecossais en Amérique.
On remarquera parmi ces noms celui de
Grasse-Tilly.
Ce fut lui qui revint en
Europe en 1804 et qui rapporta le système de 33
degrés, avec pouvoir de constituer des aéropages. Il avait été
précédé de quelques mois par un autre
initié direct
de Morin, un nommé
Hacquet, dont la tentative n'eut guère
de suite.
De
Grasse Tilly et les
frères qu'il avait
initiés
firent un
concordat avec le
Grand-Orient en 1804. Ce
concordat fut rompu
d'un
commun accord, le 06 septembre 1805. Nous soulignons d'un commun accord et
nous renvoyons à Ragon (
Orthodoxie maçonnique, p.
313) pour les détails qui prouvent, à l'encontre de ce que dit M.
Rosen dans son livre (
Satan et Cie), qu'il n'y eut pas d'
histoires d'
argent
réclamé dans cette affaire.
Ce qui reste par exemple acquis, c'est que les prétendus
grades maç
:. donnés par Frédéric de Prusse
sont de l'invention de Bailhache, en collaboration avec de
Grasse Tilly.
De 1806 à 1811, le Suprême Conseil fondé
par de
Grasse Tilly ne délivre que les plus hauts grades, 31°, 32°
et 33°, laissant le
Grand-Orient délivrer les autres.
En 1811, le Suprême Conseil se déclare indépendant.
En 1815, de
Grasse Tilly revient des Pontons anglais et fonde un nouveau Suprême
Conseil. L'ancien Suprême Conseil met de
Grasse en
jugement et le fait condamner.
Mais le nouveau Suprême Conseil, présidé par le
duc Decaze,
prend une telle importance qu'en 1820 l'ancien se joint à lui et en 1821
est constitué
le Suprême Conseil du Rite Ecossais ancien et accepté
pour la France et ses dépendances ; puis,.en 1822, le nouveau pouvoir
fonde des loges.
En 1875, eut lieu à Lausanne un convent très
important des divers Suprêmes Conseils écossais.
En 1879, quelques loges écossaises de
Paris se séparèrent
du Suprême Conseil, en protestation contre l'existence des hauts grades,
et fondèrent la
Grande Loge Symbolique Ecossaise, qui devint bientôt
assez puissante.
Pendant ce temps, les affaires du Suprême Conseil allaient
mal et la pénurie des fonds devint telle qu'en 1897 le Suprême Conseil
dut faire une entente avec les anciennes loges rebelles. D'après cette
entente, le Suprême Conseil passa à.la Grande Loge
Symbolique toutes
ses loges et garda seulement les chapitres et les
aréopages. Ainsi se constitua
la
Grande Loge de France, qui s'empressa de faire une bévue énorme
en supprimant la mention de Grand Architecte de ses planches et qui permet de
couper ainsi le faible lien qui relie encore la France à l'Etranger.Que dirons-nous de l'
histoire du dernier
rite dont il nous
reste à parler :
le rite de Misraïm ?
Voici comment Clavel raconte sa fondation :
« C'est en 1805 que plusieurs
frères de murs
décriées n'ayant pu être admis dans la
composition du
Suprême
Conseil Ecossais, qui s'était fondé en cette année à
Milan, imaginèrent le régime misraïmite. Un
frère,
Lechangeur, fut chargé de recueillir les
éléments,
de les classer, de les coordonner, et de rédiger un projet de statuts généraux.
Dans les commencements, les postulants ne pouvaient arriver que jusqu'au 87°
degré. Les trois autres, qui complétaient le système, étaient
réservés à des
supérieurs inconnus, et les
noms même de ces degrés étaient cachés aux
frères
des grades inférieurs. C'est avec cette organisation que le
rite de
Misraïm
se répandit dans les royaumes d'
Italie et de
Naples. Il fut
adopté notamment par un chapitre de Rose-Croix, appelé
la Concorde,
qui avait son siège dans les
Abruzzes. Au bas d'un bref ou diplôme,
délivré, en 1811, par ce chapitre, au
frère B. Clavel,
commissaire des guerres, figure la signature d'un des chefs actuels du
rite, le
frère Marc Bedarride, qui n'avait alors que le 77° degré.
Les
frères Lechangeur,
Joly et
Bedarride apportèrent
en France le Misraïmisme en 1814
[Note de l'auteur
: Clavel, Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie.].
Depuis 1814, le
rite s'est anémié progressivement.
Actuellement, il compte à
Paris en tout moins d'une vingtaine de membres
qui constituent à eux seuls sa loge (car il n'y en a plus qu'une), son
chapitre, son
aréopage et qui sont à l'index de la Maçonnerie
universelle, sauf de très rares exceptions.
Grand-Orient et Ecossisme
Il est fort curieux de voir ceux qui ont transformé
complètement le dépôt de traditions et de
symboles qu'on leur
a confié, qui ont méconnu à tel point les caractères
de grande fraternité universelle de la
Franc-Maçonnerie, qu'ils
se sont mis au ban de toutes les
initiations de la terre, il est curieux, dis-je,
de voir ces descendants de Lacorne prendre de grands airs de dignité pour
demander aux
frères du
Rite Ecossais leurs archives et leur filiation.
Par
Grasse Tilly, Francken et Morin, les maçons écossais se rattachent
directement à Ramsay et aux
Templiers et ils ont, du moins, le mérite
de ne pas trop avoir abîmé leur tradition malgré ses défauts.
Tandis que le
Grand-Orient, ayant brisé en 1773 ses constitutions originelles,
ayant détruit en 1885 son Grand
Collège des
Rites pour le transformer
en une halle parlementaire, n'a plus de la
Franc-Maçonnerie que le nom
et est condamné à disparaître brusquement dès que les
Français du
Rite Ecossais auront le courage de se ressaisir, de laisser
là les questions d'
argent et de reconstituer une Maçonnerie nationale
spiritualiste et solidement attachée au reste de l'Univers.
Mais admettons que ce fait ne se produise pas. Admettons
que les agissements de ceux qui rêvent d'isoler définitivement la
France, mère, par Morin, de tous les Suprêmes Conseils du
Rite Ecossais
anciens et acceptés actuels, réussissent et que l'
initiatrice semble
définitivement tuée par ceux qu'elle a
initiés.
Croyez vous que la
légende d'
Hiram ne deviendrait
pas alors une vivante réalité ?
Croyez-vous donc que les Illuminés n ereferaient pas
ce qu'ils ont fait une première fois ?
Et on verrait naître une nouvelle forme maçonnique
adaptée à notre époque et basée sur les mêmes
principes qui ont généré la première. Et bientôt
cette création serait assez forte pour s'imposer partout, sans parchemin,
sans
arbre généalogique autre qu'un ordre de l'Invisible à
un de ces
Supérieurs inconnus qui veillent toujours dans un plan
ou dans l'autre. Et les restes des vieilles et antérieures créations
s'effondreraient vite,. si cela était nécessaire.
Car, outre sa filiation
templière, dont le but est
toujours dangereux pour la
tolérance d'un martiniste, le
Rite Ecossais
a conquis droit de grande naturalisation par ses propres
forces et par son caractère vraiment international.
Alors qu'un maçon du
Grand-Orient ne pourra entrer
dans aucune loge en dehors de la France et de quelques colonies, le maçon
écossais sera fraternellement reçu dans l'étendue de la juridiction
des vingt-sept Suprêmes Conseils, issus de celui de Charleston et dont le
tableau suivant montrera la filiation pour les principaux.
Aussi, si les Illuminés pensent nécessaire
de reconstituer la vitalité d'un centre déjà existant pour
l'étude et la pratique du
symbolisme, au lieu d'en créer un nouveau,
c'est à l'Ecossisme qu'il leur faudra de préférence s'adresser
; car il est seul capable de ramener la Maçonnerie française hors
de l'athéisme et du bas matérialisme où elle se perdrait
définitivement.