CHAPITRE II
Claude de Saint-Martin et le Martinisme
Saint-Martin et la Franc-Maçonnerie
Claude de Saint-Martin et le Martinisme
Si l'on ne connaissait même pas la façon d'écrire le nom de Martines, si l'on ne savait pas davantage au sujet de l'uvre réelle de Willermoz, avant l'apparition des lettres de Pasqually que nous avons publiées, par contre on a beaucoup écrit, et de bien drôles de choses. sur Claude de
Saint-Martin.
Les critiques, les analyses, les suppositions et aussi les
calomnies faites à ce propos sont uniquement basées sur les uvres
et les lettres
ésotériques du
Philosophe Inconnu. Sa correspondance
d'
initié, adressée à son
collègue Willermoz, montre
quelles erreurs de fait ont commises les critiques et, en particulier, M. Matter.
Il est vrai qu'on ne pouvait pas tirer mieux des documents actuellement connus,
surtout quand on ne possède aucune lumière sur les
clefs que donne
l'Illuminisme à ce sujet. Aussi attendrons-nous, pour mettre ces lettres
au
jour, que quelques nouvelles inexactitudes aient été produites
sur le compte du grand réalisateur martiniste, de façon à
détruire en une fois bien des naïvetés et bien des
légendes.
Si Willermoz fut surtout chargé du groupement des
éléments martinistes, et de l'action en France, Claude de
Saint-Martin
reçut la mission de créer l'
initiation individuelle et de porter
son action aussi loin que possible. A cet effet, il fut admis à étudier
complètement les enseignements de l' «
Agent inconnu » et nous
possédons, dans les archives de l'Ordre, plusieurs cahiers copiés
et annotés de la main de
Saint-Martin.
Ainsi que nous l'avons dit précédemment, le
livre
des Erreurs et de la Vérité
est presque entièrement dû à cette origine invisible, et c'est
là qu'il faut voir la cause de l'émotion provoquée, dans
les centres d'
initiation, par l'apparition de ce livre, émotion que les
critiques cherchent avec tant de peine à expliquer. Ce point, comme bien
d'autres, sera éclairci quand il le faudra.
Outre ses études se rattachant à l'Illuminisme,
commencées auprès de Martines et poursuivies avec Willermoz, Claude
de
Saint-Martin s'occupa activement d'hermétisme pratique et un peu d'
alchimie.
Il avait à
Lyon un laboratoire organisé à cet effet.
Mais laissons là sa vie, que nous ne voulons rétablir
complètement que plus tard, et occupons-nous seulement de son uvre au
point de
vue qui nous intéresse.
Ayant à porter son action au loin, Claude de
Saint-Martin
était oblig&eaute; de faire certaines réformes dans le Martinésisme. Aussi les auteurs classiques de la
Franc-Maçonnerie ont-ils donné le nom du grand réalisateur à
son
adaptation et désignent-ils sous le nom de
Martinisme le mouvement
issu de Claude de
Saint-Martin. Il est bien amusant de voir certains critiques,
que nous nous abstiendrons de qualifier, s'efforcer de faire croire que
Saint-Martin
ne fonda jamais aucun ordre. Il faut vraiment croire les lecteurs bien mal informés
pour oser soutenir naïvement une telle absurdité. C'est l'Ordre de
Saint-Martin qui, ayant pénétré en Russie sous le règne
de la Grande Catherine, obtint un tel succès qu'une pièce fut jouée
à la cour, entièrement consacrée au Martinisme qu'on cherchait
à ridiculiser. C'est à l'Ordre de
Saint-Martin que se rattachent
les
initiations individuelles rapportées dans les mémoires de la
baronne d'Oberkierch ; enfin l'auteur classique de la
Franc-Maçonnerie,
le positiviste Ragon, qui n'est cependant pas tendre pour les
rites d'Illuminés,
décrit pages 167 et 168 de son
Orthodoxie maçonnique
les changements opérés par
Saint-Martin pour constituer le Martinisme
[Note de l'auteur : Nous avons été surpris
de voir le judicieux auteur de l'Histoire de la Fondation du Grand-Orient de
France se plaire à déprimer « l'Ecossisme » réformé
de Saint-Martin, dans lequel il ne trouve que des superstitions ridicules et
des croyances absurdes. Nous n'ignorons pas que la plupart des copies existantes
dece rit sont tellement altérées, qu'elles peuvent induire en erreur
l'homme le plus instruit ; mais nous observerons : 1° que de grandes lumières,
jointes au talent d'écrire, assurent à Saint-Martin un rang distingué
parmi les « Sectaires particuliers » ; 2° que c'était du
moins une entreprise louable que celle de resserrer dans un cercle étroit
ce dédale de grades incohérents. enfantés par le caprice
ou l'orgueil ; 3° que la filiation des grades de Saint-Martin, nous parait
présenter un système assez suivi, un ensemble que peut saisir facilement
tout initié dans l'art royal. Enfin, chaque grade en particulier suppose
une connaissance profonde de la Bible, que personne, en effet, ne possédait
mieux que lui-même dans les textes originaux, connaissance assez rare parmi
les maçons. On pourrait peut-être seulement lui reprocher de s'être
trop appesanti sur les détails. De L'Aulnaye, Thuileur Général.]
Nous savons bien que ces critiques ne valent guère
la peine d'être prises plus au sérieux que leurs auteurs et que certains
francs-maçons pardonneront difficilement à
Saint-Martin d'avoir,
toute sa vie, méprisé la
Franc-Maçonnerie positiviste, au
même titre que Martines, et de l'avoir ramenée à son véritable
rôle d'école élémentaire et de centre d'instruction
symbolique inférieur. Quand on veut nier des faits historiques, on se ridiculise,
et voilà tout. Celui que les critiques universitaires ont appelé
le Théosophe d'
Amboise était donc un réalisateur très
pratique sous son apparence
mystique. Il employa, de même que Weishaupt
(Voy.
Lettres à Caton Zwach, 16
février 1781), l'
initiation
individuelle et, grâce à ce procédé, donna à
l'Ordre une facilité d'
adaptation et d'extension que lui envient bien des
rites maçonniques. Il est tellement vrai que
Saint-Martin fut le grand
diffuseur de la Chevalerie chrétienne de Martines, que les attaques les
plus violentes ont été portées contre son uvre, son
caractère, et même sa vie.
Il faudrait tout un volume pour répondre en détail
à ces attaques ; aussi nous bornerons-nous, dans cette courte étude,
à indiquer, en nous servant surtout des documents déjà imprimés
[Note de l'auteur : Nous nous servons, pour ces extraits, de la correspondance de Saint-Martin avec Kirchberger.], quel était le véritable caractère du Martinisme à l'époque de
Saint-Martin.
Attachement de Saint-Martin pour l'enseignement de Martines
« Mon premier maître, à qui je faisais
de semblables questions dans ma
jeunesse, me répondait que si, à
soixante ans, j'avais atteint le terme, je ne devais pas me plaindre. Or, je n'en
ai encore que cinquante.
Tâchez de sentir que les meilleures choses s'apprennent
et ne s'enseignent point, et vous en saurez plus que les docteurs.
Notre première école a des choses précieuses.
Je suis même tenté de croire que M. Pasqually, dont vous me parlez
(et qui, puisqu'il faut vous le dire, était notre maître) avait la
clef active de tout ce que notre cher B... expose dans ses théories, niais
qu'il ne nous croyait pas en état de porter de si hautes vérités.
Il avait aussi des points que notre ami B... ou n'a pas connus, ou n'a pas voulu
montrer, tels que la
résipiscence de l'être pervers, à
laquelle le premier homme aurait été chargé de travailler
; idée qui nie paraît encore être digne du plan universel,
mais sur laquelle cependant je n'ai encore aucune démonstration positive,
excepté par l'intelligence. Quant à
Sophia et au
Roi du
Monde, il ne nous a rien dévoilé sur cela ; il nous a laissés
dans les notions ordinaires du monde et du démon. Mais je n'assurerai pas
pour cela qu'il n'en eût pas connaissance ; et je suis persuadé que
nous aurions fini par y arriver, si nous l'eussions conservé plus longtemps.
Il résulte de tout ceci que c'est un excellent
mariage
à faire que celui de notre première école et de notre ami
B... C'est à quoi je travaille ; et je vous avoue franchement que je trouve
les deux
époux si bien partagés l'un et l'autre que je ne trouve
rien de plus accompli : ainsi prenons-en ce que nous pourrons, je vous aiderai
de tout mon pouvoir. »
L'initiation martiniste. Son caractère
Haute spiritualité
« La seule
initiation que je prêche et que je
cherche de toute l'ardeur de mon
âme est celle par où nous pouvons
entrer dans le cur de
Dieu et faire entrer le cur de
Dieu en nous,
pour y faire un
mariage indissoluble, qui nous rend l'ami, le
frère, et
l'
épouse de notre divin Réparateur. Il n'y a pas d'autre mystère
pour arriver à cette sainte
initiation que de nous enfoncer de plus en
plus dans les profondeurs de notre être, et de ne pas lâcher prise,
que nous ne soyons parvenus à en sortir la vivante et vivifiante racine
; parce qu'alors tous les
fruits que nous devrons porter, selon notre espèce,
se produiront naturellement en nous et hors de nous, comme nous voyons que cela
arrive à nos
arbres terrestres, parce qu'ils sont adhérents à
leur racine particulière, et qu'ils ne cessent pas d'en pomper le suc.
»
Feu-Souffrance
« Lorsque nous souffrons pour nos propres uvres,
fausses et infectées, le
feu est
corrosif et brûlant, et cependant
il doit l'être moins que celui qui sert de source à ces uvres
fausses; aussi ai-je dit, plus par sentiment que par lumière (dans
L'Homme
de désir), que la pénitence est plus douce que le
péché. Lorsque nous souffrons pour les autres hommes, le
feu est
encore plus voisin de l'
huile et de la lumière ; aussi, quoiqu'il nous
déchire l'
âme et qu'il nous inonde de pleurs, on ne passe point par
ces épreuves sans en retirer de délicieuses consolations et les
substances les plus nourrissantes. »