L'astrologie pourrait
s'appuyer sur de meilleurs fondements que la magie ; car si
personne n'a vu ni farfadets, ni
lémures, ni dives, ni
péris, ni démons, ni
cacodémons, on a vu
souvent des prédictions d'astrologues réussir.
Que de deux astrologues consultés sur la vie d'un
enfant
et sur la saison, l'un dise que l'
enfant vivra âge d'homme,
l'autre non ; que l'un annonce la
pluie, et l'autre le beau
temps, il est bien clair qu'il y en aura un prophète.
Le grand malheur des astrologues, c'est
que le
ciel a changé depuis que les règles de
l'art ont été données. Le
soleil, qui,
à l'
équinoxe, était dans le
bélier
du temps des
Argonautes, se trouve aujourd'hui dans le taureau
; et les astrologues, au grand malheur de leur art, attribuent
aujourd'hui à une maison du
soleil ce qui appartient
visiblement à une autre. Cependant, ce n'est pas encore
une raison démonstrative contre l'astrologie. Les maîtres
de l'art se trompent ; mais il n'est pas démontré
que l'art ne peut exister.
Il n'y a pas d'absurdité
à dire : «
Un tel enfant est né dans le croissant de la
lune, pendant une saison orageuse, au lever d'une telle étoile, sa constitution
a été faible, et sa vie malheureuse et courte, ce qui est le partage
ordinaire des mauvais tempéraments : au contraire, celui-ci est né
quand la lune est dans son plein, le soleil dans sa force, le temps serein, au
lever d'une telle étoile ; sa constitution a été bonne, sa
vie longue et heureuse. » Si ces observations avaient été
répétées, si elles s'étaient trouvées justes,
l'expérience eût pu, au bout de quelques milliers de siècles,
former un art dont il eût été difficile de douter : on aurait
pensé, avec quelque vraisemblance, que les hommes sont comme les
arbres
et les légumes, qu'il ne faut planter et semer que dans certaines saisons.
Il n'eût servi de rien contre les astrologues de dire : «
Mon fils
est né dans un temps heureux, et cependant il est mort au berceau »
; l'astrologue aurait répondu : «
Il arrive souvent que les arbres
plantés dans la saison convenable périssent ; je vous ai répondu
des astres, mais je ne vous ai pas répondu du vice de conformation que
vous avez communiqué à votre enfant : l'astrologie n'opère
que quand aucune cause ne s'oppose au bien que les astres peuvent faire. »
On n'aurait pas mieux réussi à décréditer
l'astrologie en disant : «
De deux enfants qui sont nés dans la
même minute, l'un a été roi, l'autre n'a été
que marguillier de sa paroisse » ; car un aurait très bien pu
se défendre, en faisant voir que le paysan a fait sa fortune lorsqu'il
est devenu marguillier, comme le prince en devenant roi.
Et si on alléguait qu'un bandit que Sixte-Quint fit pendre était
né au même temps que Sixte-Quint, qui de gardeur de cochons devint
pape, les astrologues diraient qu'on s'est trompé de quelques secondes,
et qu'il est impossible, dans les règles, que la même étoile
donne la tiare et la potence. Ce n'est donc que parce qu'une foule d'expériences
a démenti les prédictions, que les hommes se sont aperçus
à la fin que l'art est
illusoire ; mais, avant d'être détrompés,
ils ont été longtemps crédules.
Un des plus fameux mathématiciens de l'
Europe, nommé Stoffler, qui
florissait aux XVème et XVème siècles, et qui travailla longtemps
à la réforme du
calendrier proposée au
concile de Constance,
prédit un
déluge universel pour l'année 1524. Ce
déluge
devait arriver au mois de
février, et rien n'est plus plausible ; car
Saturne,
Jupiter et
Mars se trouvèrent alors en
conjonction dans le signe des
Poissons.
Tous les peuples de l'
Europe, de l'Asie, et de l'Afrique, qui entendirent parler
de la prédiction, furent consternés. Tout le monde s'attendit au
déluge, malgré l'arc-en-ciel. Plusieurs auteurs contemporains rapportent
que les habitants des provinces maritimes de l'Allemagne s'empressaient de vendre
à vil prix leurs terres à ceux qui avaient le plus d'
argent, et
qui n'étaient pas si crédules qu'eux. Chacun se munissait d'un bateau
comme d'une arche. Un docteur de
Toulouse, nommé
Auriol, fit faire surtout
une grande arche pour lui, sa famille et ses amis ; on prit les mêmes précautions
dans une grande partie de l'Italie. Enfin le mois de
février arriva, et
il ne tomba pas une goutte d'
eau : jamais mois ne fut plus sec, et jamais les
astrologues ne furent plus embarrassés. Cependant ils ne furent ni découragés, ni négligés parmi nous ; presque tous les princes continuèrent de les consulter.
Je n'ai pas l'honneur d'être prince ; cependant
le célèbre comte de Boulainvilliers, et un Italien, nommé
Colonne, qui avait beaucoup de réputation à
Paris, me
prédirent l'un et l'autre que je mourrais infailliblement à
l'âge de 32 ans. J'ai eu la malice de les tromper déjà
de près de trente années, de quoi je leur demande humblement
pardon.