Ce conquérant était de la famille des Balthes, la plus
illustre de la nation des
Goths, après celle des
Amales. L'
histoire ne commence à parler de lui que vers l'an 595, époque où les
Goths se réunirent aux armées de Théodose le Grand, pour combattre les
Huns, nation redoutable à l'
empire d'Occident. Les
Goths, commandés par Alaric, rendirent de grands services pendant cette guerre, dans laquelle, en défendant un empire ébranlé de toutes parts, ils apprirent à connaître sa faiblesse et se préparèrent à l'attaquer. Ils aidèrent Théodose à triompher du rebelle Eugène, qui voulait s'élever à la pourpre impériale (335). Ce fut lui qui prit Rome pour la première fois, et qui enseigna aux barbares le chemin de cette capitale du monde ; ainsi appelés dans les affaires intérieures de l'empire, ils devinrent bientôt des hôtes incommodes et des protecteurs dangereux. Alaric, à qui l'on avait cédé un territoire dans la Thrace, et qui n'avait obtenu qu'un titre honorifique dans l'armée romains, se plaignit hautement de l'ingratitude des maîtres de l'Occident. La cour des empereurs était alors remplie d'hommes qui faisaient des vux secrets pour les barbares, les uns, parce qu'ils supportaient impatiemment l'autorité ; les autres, parce qu'ils avaient des
vues d'ambition, et qu'ils espéraient entrer en partage des dépouilles de l'empire, s'il venait à être renversé. La rivalité du
Vandale Stilicon, tuteur d'
Honorius, et du
Goth Rufin, tuteur d'
Arcadius, servit les projets d'Alaric. Rufin l'excita secrètement à envahir la Grèce ; et, lui ayant fait passer des sommes considérables, il n'eut pas de peine à le déterminer. Bientôt le chef des
Goths ravagea la
Pannonie, la Macédoine, la Thessalie, et s'avança jusqu'aux Thermopyles ; les plus beaux monuments des arts furent détruits par ses soldats. Sozime rapporte, dans son
histoire, que l'ombre d'
Achille, et
Minerve, armée de sa redoutable
égide, défendirent les murs d'Athènes. Cette
fable, digne de figurer dans une épopée, ne s'accorde ni avec la vérité historique, ni avec le caractère du chef des
Goths. Loin d'être arrêtés par les
dieux du
paganisme, les
compagnons d'Alaric, qui
avaient embrassé la doctrine des
ariens, renversèrent les autels
de
Minerve et de toutes les autres divinités de l'ancienne Grèce.
Claudien, dans son poème intitulé
La
Guerre contre les Gètes, fait un tableau effrayant de
cette désastreuse
invasion. Malheureusement, les récits du poète
sont, en cela, plus exacts que ceux de l'
historien.
Stilicon vint au secours
des Grecs, avec une puissante armée. Après plusieurs combats,
il força les
Goths vaincus à se retirer sur le
Pholoé ;
et, par de savantes manuvres, il les enferma dans leur camp, où
la faim devait bientôt les livrer sans défense au
glaive des Romains
; mais, comptant trop sur la victoire, il quitta son armée pour assister
aux fêtes
religieuses des Grecs, qui tenaient d'autant plus à leur ancien culte, qu'Alaric s'en était déclaré l'
ennemi, et qui croyaient insulter aux barbares, en renouvelant en l'honneur des
dieux les solennités et les
jeux du
paganisme. Tandis que
Stilicon et les peuples
de la Grèce célébraient la défaite des
Goths, Alaric
parvint à s'échapper ; et, peu de
jours après, on apprit
qu'il était maître de l'
Epire.
Stilicon fut rappelé par
Honorius, et l'empereur d'Orient ne trouva d'autre moyen d'arrêter l'
invasion
des
Goths, que de donner à leur chef la souveraineté de l'
Illyrie.
Maître de vastes provinces, Alaric n'oublia point qu'il avait été l'
ennemi d'
Honorius, et ne s'occupa que des moyens de recommencer la guerre
contre l'
empire d'Occident. Après avoir été élevé
sur un
pavois, et proclamé roi desVisigoths, il rassembla une armée
où furent appelés les barbares des rives du Danube, auxquels il
promit les dépouilles de Rome et de l'Italie. Il devait trouver peu d'obstacles
dans cette nouvelle guerre :
Honorius était un prince faible et timide
; comme dans tous les Etats en décadence, Rome n'avait plus de défenseurs
dont la
fidélité fût éprouvée. A l'approche
des
Goths, on rappela du fond des provinces les vieilles troupes et tous les
barbares qui s'étaient mis à la solde des Romains. L'Italie se
trouvait ouverte de toutes parts, et bientôt le pillage d'
Aquilée
et de plusieurs autres villes annonça la présence des barbares
(402) ;
Honorius fut obligé d'abandonner Milan, et de se réfugier
dans le château d'Asti, où il se trouva bientôt assiégé.
L'empereur était près de se rendre, lorsque les troupes venues
de la Gaule et de la Germanie, sous le commandement de
Stilicon, surprirent
Alaric, et l'assiégèrent à son tour dans ses retranchements.
Le chef barbare, qui s'était laissé surprendre, déploya
pour réparer sa faute le courage et le génie d'un habile capitaine.
Il releva par son exemple et par ses discours la bravoure de ses soldats ; mais
les Romains eurent recours à un stratagème qui affaiblit l'ardeur
de leurs
ennemis : ils les attaquèrent tandis qu'ils célébraient
les fêtes de Pâques. Les
Goths, nouvellement convertis à
l'
arianisme, croyant commettre un
sacrilège en combattant dans un
jour
si solennel, prirent les armes moins pour vaincre que pour se défendre,
et leur infanterie fut taillée en pièces ; les dépouilles
de la Grèce, la femme et les
enfants d'Alaric tombèrent entre
les mains des soldats d'
Honorius. Cette bataille, livrée près
de Polentia, à 25 milles de Turin, fut représentée à
la cour d'
Honorius comme une victoire décisive ; et, pour nous servir
de l'expression du poète Claudien,
comme un coup mortel porté
au cur de la Scythie. Cependant, après sa défaite, Alaric
marcha sur Rome à la tête de sa
cavalerie qui n'avait point souffert,
et fit redouter son courage ou son désespoir, au point qu'on résolut
d'acheter en retraite, après l'avoir vaincu. On lui rendit sa femme et
ses trésors ; mais il ne voulut pas quitter l'Italie avant d'avoir signalé
la valeur de ses soldats par une conquête importante, et résolut
de s'emparer de Vérone. Surpris dans sa marche par les
légions
romaines, il essuya une nouvelle défaite plus désastreuse que
la première. Cependant le
Visigoth ne perdit pas courage, il rassembla
les débris de son armée et se retrancha sur des rochers voisins
du champ de bataille ; dans cette position inexpugnable, il fit encore trembler
les Romains au milieu de leur victoire ; mais, à la fin, manquant de
vivres, abandonné par les barbares, qui n'avaient plus de respect et de
dévouement pour un chef deux fois vaincu, il quitta l'Italie et retourna
en
Illyrie.
La terreur qu'inspirait son nom était si grande, qu'on regarda
sa retraite comme un triomphe. Le peuple et le clergé remercièrent
le
ciel, et le capitale de l'Occident prodigua les honneurs et les louanges
à
Stilicon, qui, dans cette campagne difficile et glorieuse, avait déployé
l'activité et les talent d'un grand capitaine. Alaric souffrit beaucoup
dans cette expédition ; mais il avait fait voir à ses soldats
un pays riche et fertile ; il avait appris à tous les barbares du nord
et du midi qu'on pouvait s'emparer de Rome, et le bruit de ses exploits attira
bientôt sous ses drapeaux tous les
ennemis du nom romain, tous les aventuriers
et tous les soldats avides de pillage. Lorsqu'il se vit à la tête
d'une nouvelle armée, Alaric se vanta d'avoir épargné la
capitale de l'Occident, et demanda le salaire de sa clémence. Il entama
des négociations ; pendant qu'on les poursuivait, les familles barbares
établies en Italie furent massacrées par l'ordre des ministres
d'
Honorius. Alors les
Goths au service de l'empire désertèrent leurs
drapeaux et allèrent, par leurs récits et le spectacle de leurs
malheurs, exciter l'indignation d'Alaric. Le roi des
Goths commença par
se plaindre ; et, comme il parla avec modération, on prit son langage
pour de la faiblesse ou de la crainte ; on ne répondit point à
ses réclamations, et l'Italie ne prit aucune mesure pour sa défense
; mais, tandis qu'à Rome on tournait en ridicule le roi des
Visigoths
et ses prétentions, tout à coup les rives du Pô furent couvertes
de barbares qui demandaient vengeance, et qui pillèrent
Aquilée,
Crémone et toutes les villes qu'ils rencontrèrent sur leur passage.
Honorius s'était enfermé dans Ravennes ; le peuple des villes
fuyait dans les
forêts et dans les
montagnes, et les
Goths marchaient
sans obstacle vers Rome. La ville éternelle fut bientôt investie
par les barbares (408) ; et les descendants des
Fabius et des Scipions n'eurent
d'espoir que dans leurs supplications et leurs prières. « Qu'on
m'épargne, leur dit Alaric, la peine de piller Rome, et qu'on me donne
tout l'or et tous les objets précieux qui se trouvent dans la ville,
Que laisserez-vous donc aux Romains ? La vie. » Les députés
lui avaient parlé de la nombreuse population de Rome, qui pouvait prendre
les armes contre lui : « Plus l'herbe est serrée, leur dit le roi
barbare, et plus la
faux y mord. » Cependant, soit qu'il craignit le désespoir
des Romains, soit qu'il fût touché de leurs prières, il
consentit à lever le siège, et se contenta d'exiger 5.000 livres
pesant d'or, 50.000 livres d'
argent, 4000 robes de soie, 3000 pièces
de drap fin écarlate, et 3000 livres de poivre. Enrichie des dépouilles
des Romains, l'armée des
Goths vint prendre ses quartiers d'
hiver dans
la Toscane. Pendant ce temps, la cour d'
Honorius, établie à Ravennes,
était en proie à plusieurs
factions qui se reprochaient les malheurs
de l'empire, et se disputaient les restes de l'autorité impériale
; chacun désirait en secret s'appuyer des barbares ; et, devant l'empereur,
on s'accusait mutuellement de favoriser Alaric. La crainte arrachait à
Honorius et à ses ministres des promesses avilissantes, et je ne sais
quel souvenir de la grandeur romaine, excitant leur orgueil, les empêchait
de remplir les conditions des traités. Alaric ne put supporter la
hauteur
et les refus de ceux qu' il avait vaincus ; Rome, encore une fois attaquée,
fut réduite aux plus cruelles extrémités et menacée
d'être livrée aux
flammes. Encore une fois, les Romains livrèrent
leurs richesses pour sauver leurs murailles. L'orgueilleux Alaric, dédaignant
un empire qui était en son pouvoir, le donna à Attale, préfet
du prétoire ; et, comme s'il eût pris plaisir à avilir la
pourpre impériale, il ne tarda pas à détrôner l'empereur
qu'il avait créé ; aprés lui avoir arraché le sceptre
en présence des
Goths et des Romains, il le chassa
ignominieusement.
Cependant les ministres d'
Honorius, qui, enfermés dans Ravennes, adressaient
alternativement au roi des
Goths de basses supplications ou de ridicules menaces,
lui donnèrent un nouveau prétexte de recommencer la guerre. Alaric,
irrité, reprit les armes et revint une troisième fois mettre le
siège devant Rome ; cette fois, rien ne put la sauver. Un ermite osa
s'avancer au-devant du roi des
Goths etle menacer de la colère céleste.
« Je sens en moi, lui répondit ce barbare, quelque chose qui me
porte à détruire Rome. » Cette réponse est devenue
célèbre, et St. Augustin, dans sa
Cité
de Dieu, n'hésite point à regarder Alaric comme
un instrument dont la Divinité se servit pour châtier une ville
mère de tous les crimes et de toutes les erreurs. L'an 410, les drapeaux
des barbares flottèrent sur les murailles de la ville de
Romulus ; et,
dans l'espace de trois
jours, l'ancienne maîtresse du monde vit disparaître
les richesses entassées par neuf siècles de triomphes, et subit
tous les maux qu'elle avait fait souffrir à l'univers. Alaric recommanda
cependant la modération à ses soldats, et leur ordonna de respecter
les trésors des
églises. Au milieu des scènes du plus effréné
brigandage, on dut voir avec surprise des barbares, marchant en procession et
dans l'attitude du respect, reporter sur les autels de St. Pierre les trésors
enlevés dans le
sanctuaire. Les
églises furent autant d'asiles
inviolables, dans lesquels un grand nombre de Romains sauvèrent leur
vie et une partie de leurs richesses.
Alaric, qui craignait pour ses soldats
le séjour de Rome, en sortit au bout de six
jours pour marcher à
la conquête de la
Sicile et de l'Afrique ; il ravage dans sa marche la Campanie,
l'
Apulie et la
Calabre. Mais, au milieu de ses triomphes, et près de
s'embarquer pour la
Sicile, il fut attaqué d'une maladie mortelle, et
termina sa carrière à Corentia. Ses lieutenants, craignant que
la
cendre de leur général ne fût outragée par les
Romains, l'ensevelirent au milieu du Busento. Les captifs qui avaient été
employés à détourner le cours de la rivière furent
massacrés après la cérémonie, et le silence de la
mort et de la terreur régna longtemps sur la tombe d'Alaric. Tandis que
les
Goths se livraient au désespoir, Rome et l'Italie faisaient des réjouissances
publiques ; la
Sicile et l'Afrique voyaient s'éloigner l'orage dont elles
étaient menacées, et le monde eut un moment de repos. Le nom d'Alaric
a quelquefois été répété par les Muses, que
son aspect devait effrayer. Claudien l'a représenté comme un héros
cruel et barbare. Un poète moderne, qui avait l'enflure de Claudien,
sans avoir son génie, a pris le roi des
Goths pour le sujet d'un poème
épique. Tout le monde connaît ce vers de Scudéri, cité
par Boileau :
Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre.
Alaric n'était pas sans modération ; son
ambition eût été flattée peut-être de la gloire
de fonder un grand Etat ; mais il connaissait les
Goths, peuple turbulent et
indiscipliné. Désespérant de rien établir de durable
avec de tels hommes, il se servit de leurs armes pour tout bouleverser. Ce fut
lui qui, le premier, enseigna aux barbares le chemin de Rome, et qui leur apprit
que le temps était venu de braver l'ancienne maîtresse du monde.
Le règne d'Alaric est une des époques les plus remarquables de
l'
histoire du
Bas-Empire, et l'on doit regretter qu'elle ait échappé
au pinceau de
Montesquieu. Le chef des
Visigoths forma, pendant sa vie errante,
et dans le cours de ses expéditions, les
éléments d'une
monarchie militaire qui, après sa mort, s'établit dans l'
Aquitaine,
et dans la suite en Espagne, où elle a subsisté plusieurs siècles.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 1 - Pages 304-305)