LIVRE III
HERMÈS LES MYSTÈRES DE L'ÉGYPTE
II HERMÈS
La race noire qui succéda à la race rouge australe dans la domination du monde, fit de la Haute Egypte son principal sanctuaire. Le nom d'Hermès-Toth, ce mystérieux et premier initiateur de l'Egypte aux doctrines sacrées, se rapporte sans doute à un premier et pacifique mélange de la race
blanche et de la race noire, dans les régions de l'Ethiopie et de la Haute Egypte, longtemps avant l'époque aryenne. Hermès est un nom générique
comme Manou et Bouddha. Il désigne à la fois un homme, une caste et un dieu. Homme, Hermès, est le premier, le grand initiateur de l'Egypte
; caste, c'est le sacerdoce dépositaire des traditions occultes ; dieu, c'est la planète Mercure, assimilée avec sa sphère à
une catégorie d'esprits, d'initiateurs divins ; en un mot, Hermès préside à la région supraterrestre de l'initiation céleste.
Dans l'économie spirituelle du monde, toutes ces choses sont reliées par de secrètes affinités comme par un fil invisible. Le nom d'Hermès
est un talisman qui les résume, un son magique qui les évoque. De là son prestige. Les Grecs, disciples des Egyptiens, l'appelèrent
Hermès Trismégiste ou trois fois grand, parce qu'il était considéré comme roi, législateur et prêtre. Il typifie une époque où le sacerdoce, la magistrature et la royauté se trouvaient réunis en un seul corps gouvernant. La chronologie égyptienne
de Manéthon appelle cette époque le règne des dieux. Il n'y avait alors ni papyrus ni écriture phonétique ; mais l'idéographie
sacrée existait déjà ; la science du sacerdoce était inscrite en hiéroglyphes sur les colonnes et les murs des cryptes. Considérablement
augmentée, elle passa plus tard dans les bibliothèques des temples. Les Egyptiens attribuaient à Hermès quarante-deux livres roulant
sur la science occulte. Le livre grec connu sous le nom d'Hermès Trismégiste renferme certainement des restes altérés
mais infiniment précieux de l'antique théogonie qui est comme le fiat lux, d'où Moïse et Orphée reçurent leurs
premiers rayons. La doctrine du Feu-Principe et du Verbe-Lumière, renfermée dans la Vision d'Hermès, restera
le sommet et le centre de l'initiation égyptienne.
Nous essayerons tout à l'heure de retrouver cette vision des maîtres, cette
rose mystique qui ne s'épanouit que dans
la nuit du
sanctuaire et dans l'
arcane des grandes
religions. Certaines paroles d'
Hermès, empreintes de l'antique sagesse, sont bien faites pour nous y préparer. « Aucune de nos pensées, dit-il à son
disciple Asclépios, ne saurait concevoir
Dieu ni aucune langue le définir. Ce qui est incorporel, invisible, sans forme, ne peut être saisi par nos sens ; ce qui est éternel ne saurait être mesuré par la courte règle du temps :
Dieu est donc
ineffable.
Dieu peut, il est vrai, communiquer à quelques élus la faculté de s'élever au-dessus des choses naturelles, pour percevoir quelque rayonnement de sa perfection suprême mais ces élus ne trouvent point de parole pour traduire en langue vulgaire l'immatérielle vision qui les a fait tressaillir. Ils peuvent expliquer à l'humanité les causes secondaires des créations qui passent sous leurs yeux comme les images de la vie universelle, mais la cause première demeure voilée et nous ne parviendrons à la comprendre qu'en traversant la mort. » C'est ainsi qu'
Hermès parlait du
Dieu inconnu au seuil des
cryptes. Les
disciples qui pénétraient avec lui dans leurs profondeurs, apprenaient à le connaître comme un être vivant
(38).
Le livre parle de sa mort comme du départ d'un
dieu.
«
Hermès vit l'ensemble des choses, et ayant vu, il comprit, et ayant
compris, il avait la puissance de manifester et de révéler. Ce qu'il
pensa, il l'écrivit ; ce qu'il écrivit il le cacha en grande partie,
se taisant avec sagesse et parlant à la fois, afin que toute la durée
du monde à venir cherchât ces choses. Et ainsi, ayant ordonné
aux
dieux ses
frères de lui servir de cortège, il monta aux étoiles. »
On peut, à la rigueur, isoler l'
histoire politique
des peuples, on ne peut disjoindre leur
histoire religieuse. Les
religions de
l'Assyrie, de l'Egypte, de la Judée, de la Grèce, ne se comprennent
que lorsqu'on saisit leur point d'attache avec l'antique
religion indo-aryenne.
Prises à part, ce sont autant d'
énigmes et de charades ;
vues d'ensemble
et de haut, c'est une superbe évolution, où tout se commande et
s'explique réciproquement. En un mot, l'
histoire d'une
religion sera toujours
étroite, superstitieuse et fausse ; il n'y a de vrai que l'
histoire religieuse
de l'humanité. A cette
hauteur, on ne sent plus que les courants qui font
le tour du globe. Le peuple égyptien, le plus indépendant et le
plus
fermé de tous aux
influences extérieures, ne put se soustraire
à cette loi universelle. Cinq mille ans avant notre ère, la lumière
de Rama, allumée dans l'Iran, rayonna sur l'Egypte et devint la loi de
Hammon-Râ, le
dieu solaire de Thèbes. Cette constitution lui permit
de braver tant de révolutions. Ménès fut le premier roi de
justice, le premier pharaon exécuteur de cette loi. Il se garda bien d'ôter
à l'Egypte son ancienne
théologie, qui était la sienne aussi.
Il ne fit que la confirmer et l'épanouir, en y joignant une organisation
sociale nouvelle : le sacerdoce, c'est-à-dire l'enseignement, à
un premier conseil ; la justice à un autre ; le gouvernement aux deux ;
la
royauté conçue comme leur délégation et soumise
à leur contrôle ; l'indépendance relative des nômes
ou communes, à la base de la société. C'est ce que nous pouvons
nommer le gouvernement des
initiés. Il avait pour
clef de voûte une
synthèse des sciences connues sous le nom d'Osiris (O-Sir- Is), le seigneur
intellectuel. La grande pyramide en est le
symbole et le
gnomon mathématique.
Le pharaon qui recevait son nom d'
initiation du temple, qui exerçait l'art
sacerdotal et royal sur le trône, était donc un bien autre personnage
que le despote assyrien dont le pouvoir arbitraire était assis sur le crime
et le sang. Le pharaon était l'
initié couronné, ou du moins
l'élève et l'instrument des
initiés. Pendant des siècles,
les pharaons défendront, contre l'Asie devenue despotique et coutre l'
Europe
anarchique, la loi du
Bélier qui représentait alors les droits de
la justice et de l'arbitrage international.
Vers l'an 2200 avant Jésus-Christ, l'Egypte subit
la crise la plus redoutable qu'un peuple puisse traverser : celle de l'
invasion
étrangère et d'une demi conquête. L'
invasion phénicienne
était elle-même la suite du grand schisme
religieux d'Asie qui avait
soulevé les masses populaires en semant la dissension dans les temples.
Conduite par les rois-pasteurs appelés Hicsos, cette
invasion roula son
déluge sur le
Delta et la moyenne Egypte. Les rois schismatiques amenaient
avec eux une civilisation corrompue, la mollesse ionienne, le luxe de l'Asie,
les murs du harem, une
idolâtrie grossière. L'existence nationale
de l'Egypte était compromise, son intellectualité en danger, sa
mission universelle menacée. Mais elle avait une
âme de vie, c'est-à-dire
un
corps organisé d'
initiés, dépositaires de l'antique science
d'
Hermès et d'Ammon-Râ. Que fit cette
âme ? Elle se retira
au fond de ses
sanctuaires, elle se ramassa sur elle-même pour mieux résister
à l'
ennemi. En apparence, le sacerdoce se courba devant l'
invasion et reconnut
les usurpateurs qui apportaient la loi du Taureau et le culte du buf
Apis.
Cependant cachés dans les temples, les deux conseils y gardèrent
comme un dépôt sacré leur science, leurs traditions, l'antique
et pure
religion et avec elle l'espoir d'une restauration de la dynastie nationale.
C'est à cette époque que les
prêtres répandirent dans
la foule la
légende d'Isis et d'Osiris, du démembrement de ce dernier
et de sa
résurrection prochaine par son fils
Horus, qui retrouverait ses
membres épars emportés par le Nil. On excita l'imagination de la
foule par la pompe des cérémonies publiques. On entretint son
amour
pour la vieille
religion en lui représentant les malheurs de la déesse,
ses lamentions sur la perte de son
époux céleste et l'espoir qu'elle
plaçait dans son fils
Horus, le divin médiateur. Mais en même
temps, les
initiés jugèrent nécessaire de rendre la vérité
ésotérique inattaquable en la recouvrant d'un triple voile. A la
diffusion du culte populaire d'Isis et d'Osiris, correspond l'organisation intérieure
et savante des petits et des grands Mystères. On les entoura de barrières
presque infranchissables, de dangers terribles. On inventa les épreuves
morales, on exigea le serment du silence, et la peine de mort fut rigoureusement
appliquée contre les
initiés qui divulguaient le moindre détail
des Mystères. Grâce à cette organisation sévère,
l'
initiation égyptienne devint non seulement le refuge de la doctrine
ésotérique,
mais encore le creuset d'une
résurrection nationale et l'école des
religions futures. Tandis que les usurpateurs couronnés régnaient
à Memphis, Thèbes préparait lentement la régénération
du pays. De son temple, de son arche solaire sortit le sauveur de l'Egypte,
Amos,
qui chassa les Hicsos après neuf siècles de domination, restaura
dans ses droits la science égyptienne et la
religion mâle d'Osiris.
Ainsi les Mystères sauvèrent l'
âme de
l'Egypte sous la
tyrannie étrangère, et cela pour le bien de l'humanité.
Car telle était alors la
force de leur discipline, la puissance de leur
initiation, qu'ils renfermaient sa meilleure
force morale, sa plus haute sélection
intellectuelle.
L'
initiation antique reposait sur une
conception de l'homme
à la fois plus saine et plus élevée que la nôtre. Noua
avons dissocié l'éducation du
corps, de l'
âme et de l'
esprit.
Nos sciences physiques et naturelles très avancées en elles-mêmes,
font abstraction du principe de l'
âme et de sa diffusion dans l'univers
; notre
religion ne satisfait pas aux besoins de l'intelligence ; notre médecine
ne veut rien savoir ni de l'
âme, ni de l'
esprit. L'homme contemporain cherche
le plaisir sans le bonheur, le bonheur sans la science et la science sans la sagesse.
L'antiquité n'admettait pas que l'on pût séparer ces choses.
Dans tous les domaines, elle tenait compte de la triple nature de l'homme. L'
initiation
était un entraînement graduel de tout l'être humain vers les
sommets vertigineux de l'
esprit, d'où l'on peut dominer la vie. «
Pour atteindre à la maîtrise, disaient les sages d'alors, l'homme
a besoin d'une refonte totale de son être physique, moral et intellectuel.
Or, cette refonte n'est possible que par l'exercice simultané de la volonté,
de l'intuition et du raisonnement. Par leur complète
concordance, l'homme
peut développer ses facultés jusqu'à des limites incalculables.
L'
âme a des sens endormis ; l'
initiation les réveille. Par une étude
approfondie, une application constante, l'homme peut se mettre en rapport conscient
avec les
forces occultes de l'univers. Par un effort prodigieux, il peut atteindre
à la perception spirituelle directe, s'ouvrir les routes de l'au-delà
et se rendre capable de s'y diriger. Alors seulement il peut dire qu'il a vaincu
le
destin et conquis dès ici-bas sa
liberté divine. Alors seulement
l'
initié peut devenir
initiateur, prophète et théurge, c'est-à-dire
:
voyant et créateur d'
âmes. Car celui-là seul qui commande
à lui-même peut commander aux autres ; celui-là seul qui est
libre peut affranchir. »
Ainsi pensaient les
initiés antiques. Les plus grands
d'entre eux vivaient et agissaient en conséquence. La véritable
initiation était donc bien autre chose qu'un songe creux et bien plus qu'un
simple enseignement scientifique ; c'était la création d'une
âme
par elle-même, son éclosion sur un plan supérieur, son efflorescence
dans le monde divin.
Plaçons-nous au temps des Ramsès, à l'époque de Moïse et d'Orphée, vers l'an 1300 avant notre ère et tâchons de pénétrer au cur de l'
initiation égyptienne. Les monuments figurés, les livres d'
Hermès, la tradition juive et grecque
(39) permettent d'en faire revivre les phases ascendantes et de nous former une idée de sa plus haute révélation.
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(38) La
théologie savante,
ésotérique, dit M. Maspéro, est
monothéiste dès les temps de l'Ancien Empire. L'affirmation de l'unité fondamentale de l'être divin se
lit exprimée en termes formels et d'une grande énergie dans les textes qui remontent à
cette époque.
Dieu est le Un unique, celui qui existe par
essence, le seul qui vive en substance, le seul générateur dans le
ciel et sur la terre qui ne soit pas engendré. A la fois Père, Mère et Fils, il engendre, il enfante et il est perpétuellement ; et ces trois personnes loin de
diviser l'unité de la nature divine concourent à son infinie perfection. Ses attributs sont l'immensité, l'éternité, l'indépendance, la volonté toute-puissante, la bonté sans limite. « Il crée ses propres membres qui sont les
Dieux » disent les vieux textes. Chacun de ces
dieux secondaires considérés comme identiques au
Dieu Un, peut former un type nouveau, d'où émanent à leur tour et par le même procédé d'autres types inférieurs.
Histoire ancienne des peuples de l'Orient.
(39)