LIVRE V
ORPHÉE LES MYSTÈRES DE DIONYSOS
V LA MORT D'ORPHÉE
Les forêts de chêne mugissaient fouettées par la tempête, aux flancs du mont Kaoukaïôn ; la foudre grondait à coups redoublés sur les roches nues et faisait trembler jusque dans ses bases le temple de Jupiter. Les prêtres de Zeus étaient réunis dans une crypte voûtée du sanctuaire. Assis sur leurs sièges de bronze, ils formaient un demi-cercle. Orphée se tenait debout au milieu d'eux, comme un accusé. Il était plus pâle que de coutume ; mais une flamme profonde sortait de ses yeux calmes.
Le plus vieux des
prêtres éleva sa voix grave comme celle d'un
juge :
Orphée, toi qu'on dit fils d'
Apollon, nous t'avons nommé
pontife et roi, nous t'avons donné le sceptre
mystique des fils de
Dieu ; tu règnes sur la Thrace par l'
art sacerdotal et royal. Tu as relevé dans cette contrée les temples de Jupiter et d'
Apollon, et tu as fait reluire dans la nuit des mystères le
soleil divin de
Dionysos. Mais sais-tu bien ce qui nous menace ? Toi qui connais les secrets redoutables, toi qui plus d'une fois nous as prédit l'avenir et qui de loin as parlé à tes
disciples en leur apparaissant en songe, tu ignores ce qui se passe autour de toi. En ton absence, les
Bacchantes sauvages, les
prêtresses maudites se sont réunies dans le vallon d'
Hécate. Conduites par Aglaonice, la magicienne de Thessalie, elles ont persuadé les chefs des bords de l'Ebre de rétablir le culte de la sombre
Hécate et menacent de détruire les temples des
Dieux mâles et tous les autels du Très Haut. Excités par leurs bouches ardentes, conduits par leurs torches incendiaires, mille guerriers Thraces campent au pied de cette
montagne, et demain ils donneront l'assaut au temple, excités par le souffle de ces femmes vêtues de la peau des panthères, avides du sang des mâles. Aglaonice, la grande
prêtresse de l'
Hécate ténébreuse, les mène ; c'est la plus terrible des magiciennes, implacable et acharnée comme une Furie. Tu dois la connaître ! Qu'en dis-tu ?
Je savais tout cela, dit Orphée, et tout cela devait venir.
Alors pourquoi n'as-tu rien fait pour nous défendre ? Aglaonice a juré de nous égorger sur nos autels, en face du
ciel vivant que nous adorons. Mais que vont devenir ce temple, ses trésors, ta science et Zeus lui- même, si tu l'abandonnes ?
Ne suis-je pas avec vous ? reprit Orphée avec douceur.
Tu es venu ; mais trop tard, dit le vieillard. Aglaonice mène les
Bacchantes et les
Bacchantes mènent les Thraces. Est-ce avec la
foudre de Jupiter et avec les
flèches d'Apollon que tu les repousseras ? Que n'appelais-tu dans cette enceinte les chefs Thraces fidèles à Zeus pour écraser la révolte ?
Ce n'est pas par les armes, c'est par la parole qu'on défend les
Dieux. Ce ne sont pas les chefs qu'il faut
frapper, mais les
Bacchantes. J'irai ; moi seul. Soyez tranquilles.
Aucun profane ne franchira cette enceinte. Demain finira le règne des
prêtresses sanglantes. Et sachez-le bien, vous qui tremblez devant la horde d'
Hécate, ils vaincront, les
Dieux célestes et solaires. A toi vieillard qui doutais de moi, je laisse le sceptre du
pontife et la
couronne d'
hiérophante.
Que vas-tu faire ? dit le vieillard effrayé.
Je vais rejoindre les
Dieux... A vous tous, au revoir !
Orphée sortit, laissant les
prêtres muets sur leurs sièges. Dans le temple, il trouva
le
disciple de
Delphes et lui prenant la main avec
force :
Je vais au camp des
Thraces, suis-moi.
Ils marchaient sous les chênes ; l'orage était
loin ; entre les branches épaisses brillaient les étoiles.
L'heure suprême est venue pour moi, dit Orphée.
D'autres m'ont compris, toi tu m'as aimé. Erôs est le plus ancien
des
Dieux, disent les
initiés ; il tient la
clef de tous les êtres.
Aussi t'ai-je fait pénétrer dans le fond des Mystères ; les
Dieux t'ont parlé, tu les a vus !... Maintenant, loin des hommes, seul
à seul, à l'heure de sa mort, Orphée doit laisser à
son
disciple aimé le mot de sa destinée, l'immortel héritage,
le pur flambeau de son
âme.
Maître ! j'écoute et j'obéis,
dit le
disciple de
Delphes.
Marchons toujours, dit Orphée, sur ce sentier
qui descend. L'heure presse. Je veux surprendre mes
ennemis. En me suivant, écoute
; et grave mes paroles dans ta mémoire, mais garde-les comme un secret.
Elles s'impriment en lettres de
feu sur mon cur ; les siècles
ne les effaceront pas.
Tu sais, maintenant, que l'
âme est fille du
ciel. Tu as contemplé ton origine et ta fin, et tu commences à te
ressouvenir. Lorsqu'elle descend dans la chair, elle continue, quoique faiblement,
à recevoir l'influx d'en haut. Et c'est par nos mères que ce souffle
puissant nous arrive d'abord. Le lait de leur sein nourrit notre
corps ; mais
c'est de leur
âme que se nourrit notre être angoissé par l'étouffante
prison du
corps. Ma mère était
prêtresse d'
Apollon, mes premiers
souvenirs sont ceux d'un
bois sacré, d'un temple solennel, d'une femme
me portant dans ses bras, m'enveloppant de sa douce chevelure comme d'un chaud
vêtement. Les objets terrestres, les visages humains m'envahissaient d'une
affreuse terreur. Mais aussitôt ma mère me serrait dans ses bras,
je rencontrais son regard et il m'inondait d'un divin ressouvenir du
ciel. Mais
ce rayon mourut dans le gris sombre de la terre. Un
jour ma mère disparut
; elle était morte. Privé de son regard, sevré de ses caresses,
je fus épouvanté de ma solitude. Ayant vu couler le sang d'un sacrifice,
je pris le temple en horreur et je descendis aux vallées ténébreuses.
Les
Bacchantes étonnèrent ma
jeunesse. Dès
lors, Aglaonice régnait sur ces femmes voluptueuses et farouches.
Hommes
et femmes, tout le monde la craignait. Elle respirait un sombre désir et
frappait de terreur. Cette Thessalienne exerçait sur tous ceux qui l'approchaient
une attraction fatale. Par les arts de l'infernale
Hécate, elle attirait
les jeunes filles dans sa vallée hantée et les instruisait dans
son culte. Cependant Aglaonice avait jeté les yeux sur
Eurydice. Elle s'était
éprise pour cette vierge d'une
envie perverse, d'un
amour effréné,
maléfique. Elle voulait entraîner cette jeune fille au culte des
Bacchantes, la dompter, la livrer aux génies infernaux après avoir
flétri sa
jeunesse. Déjà elle l'avait enveloppée de
ses promesses séductrices, de ses incantations nocturnes.
Attiré moi-même par je ne sais quel pressentiment dans le vallon d'
Hécate,
je cheminais un
jour dans les hautes herbes d'une prairie pleine de plantes vénéneuses.
Mais tout autour régnait l'horreur des
bois sombres hantés par les
Bacchantes. Des parfums y passaient par bouffées comme la chaude
haleine
du désir. J'aperçus
Eurydice. Elle marchait lentement, sans me voir
vers un antre, comme fascinée par un but invisible. Quelquefois un rire
léger sortait du
bois des
Bacchantes, quelquefois un soupir étrange.
Eurydice s'arrêtait frémissante, incertaine, et puis reprenait sa
marche, comme attirée par un pouvoir magique. Ses boucles d'or flottaient
sur ses épaules blanches, ses yeux de narcisse nageaient dans l'ivresse,
tandis qu'elle marchait à la bouche de l'Enfer. Mais j'avais vu le
ciel
dormant dans son regard.
Eurydice ! m'écriai-je, en lui prenant
la main, où vas-tu ? Comme éveillée d'un rêve,
elle poussa un cri d'horreur et de délivrance, puis tomba sur mon sein.
Ce fut alors que le divin Erôs nous dompta ; et par un regard Eurydice-Orphée
furent
époux à jamais.
Cependant
Eurydice, qui me tenait
enlacé dans son effroi, me montra la grotte avec un geste d'épouvante.
Je m'en approchai et j'y vis une femme assise. C'était Aglaonice. Près
d'elle, une petite statue d'
Hécate en
cire, peinte en rouge, en blanc et
en noir qui tenait un fouet. Elle murmurait des paroles enchantées en faisant
tourner le rouet magique, et ses yeux fixés dans le vide semblaient dévorer
sa proie. Je brisai le rouet, je foulai l'
Hécate à mes pieds, et
perçant la magicienne du regard, je m'écriai : Par Jupiter ! je
te défends de penser à
Eurydice sous peine de mort ! Car,
sache que les fils d'
Apollon ne te craignent pas.
Aglaonice interdite se tordit comme un
serpent sous mon geste et disparut dans sa caverne en me lançant
un regard de haine mortelle.
J'emmenai
Eurydice aux abords de mon temple. Les vierges de l'Ebre, couronnées d'
hyacinthe, chantèrent :
Hymen
!
Hyménée ! autour de nous ; je connus le bonheur.
La
lune n'avait changé que trois fois, lorsqu'une
Bacchante poussée par la Thessalienne présenta à
Eurydice
une coupe de vin, qui lui donnerait, disait-elle, la science des philtres et des
herbes magiques.
Eurydice curieuse la but et tomba foudroyée. La coupe
renfermait un poison mortel.
Quand je vis le bûcher consumer
Eurydice
; quand je vis le tombeau engloutir ses cendres, quand le dernier souvenir de
sa forme vivante eut disparu, je m'écriai : « Où est son
âme
? » Je partis désespéré. J'errai par toute la Grèce.
Je demandai son évocation aux
prêtres de
Samothrace ; je la cherchai
aux entrailles de la terre, au cap Ténare ; mais en vain. Enfin j'arrivai
à l'
antre de Trophonius. Là, certains
prêtres conduisent les
visiteurs téméraires par une fente, jusqu'aux lacs de
feu qui bouillonnent
dans l'intérieur de la terre, et leur font voir ce qui s'y passe. En route,
tout en marchant, on entre en extase, et la seconde
vue s'ouvre. On respire à
peine ; la voix s'étrangle, on ne peut plus parler que par signes. Les
uns reculent à mi-chemin, les autres persistent et meurent étouffés
; la plupart de ceux qui sortent vivants restent fous. Après avoir vu ce
que nulle bouche ne doit répéter, je remontai dans la grotte et
tombai dans une léthargie profonde. Pendant ce sommeil de mort m'apparut
Eurydice. Elle flottait dans un nimbe, pâle comme un rayon lunaire, et me
dit : « Pour moi, tu as bravé l'enfer, tu m'as cherchée chez
les morts. Me.voici ; je viens à ta voix. Je n'habite pas le sein de la
terre, mais la région de l'
Erèbe, le cône d'ombre entre la
terre et la
lune. Je tourbillonne dans ce
limbe en pleurant comme toi. Si tu veux
me délivrer, sauve la Grèce en lui donnant la lumière. Alors
moi-même, retrouvant mes ailes, je monterai vers les astres, et tu me retrouveras
dans la lumière des
Dieux. Jusque-là il me faut errer dans la
sphère
trouble et douloureuse... » Trois fois je voulus la saisir ; trois fois
elle s'évanouit dans mes bras comme une ombre. J'entendis seulement comme
un son de corde qui se déchire ; puis une voix faible comme un souffle,
triste comme un baiser d'adieu, murmura : Orphée !
A cette voix je m'éveillai. Ce nom donné par une
âme avait changé
mon être. Je sentis passer en moi le frisson sacré d'un immense désir
et le pouvoir d'un
amour surhumain.
Eurydice vivante m'eût donné
l'ivresse du bonheur ;
Eurydice morte me fit trouver la Vérité.
C'est par
amour que j'ai revêtu l'habit de lin, me vouant à. la grande
initiation et à la vie
ascétique ; c'est par
amour que j'ai pénétré
la magie et cherché la science divine ; c'est par
amour que j'ai traversé
les cavernes de
Samothrace, les puits des Pyramides et les tombeaux de l'Egypte.
J'ai fouillé la mort pour y chercher la vie, et par delà la vie
j'ai vu les
limbes, les
âmes, les
sphères transparentes, l'Ether
des
Dieux. La terre m'a ouvert ses abîmes, le
ciel ses temples flamboyants.
J'ai arraché la science cachée sous les momies. Les
prêtres
d'Isis et d'Osiris m'ont livré leurs secrets. Ils n'avaient que ces
Dieux
; j'avais Erôs ! Par lui, j'ai parlé, j'ai chanté, j'ai vaincu.
Par lui, j'ai épelé le verbe d'
Hermès et le verbe de
Zoroastre
; par lui j'ai prononcé celui de Jupiter et d'
Apollon !
Mais l'heure de confirmer ma mission par ma mort est venue. Encore une fois il me faut descendre
aux enfers pour remonter au
ciel. Ecoute,
enfant chéri de ma parole : Tu
porteras ma doctrine au temple de
Delphes et ma loi au tribunal des Amphyctions.
Dionysos est le
soleil des
initiés ;
Apollon sera la lumière de
la Grèce ; les Amphyctions les gardiens de sa justice. »
L'
hiérophante et son
disciple avaient atteint le fond de la vallée. Devant eux une clairière,
de grands massifs de
bois sombres, des tentes et des hommes couchés à
terre. Au fond de la
forêt, des
feux mourants, des torches vacillantes.
Orphée marchait tranquillement au milieu des Thraces endormis et fatigués
d'une
orgie nocturne. Une sentinelle qui veillait encore lui demanda son nom.
Je suis un messager de Jupiter, appelle tes chefs, lui répondit
Orphée.
« Un
prêtre du temple !.. » Ce cri poussé
par la sentinelle se répand comme un signal d'alarme dans tout le camp.
On s'arme ; on s'appelle ; les
épées brillent ; les chefs accourent
étonnés et entourent le
pontife.
Qui es-tu ? que viens-tu faire ici ?
Je suis un envoyé du temple. Vous tous, rois, chefs,
guerriers de la Thrace, renoncez à lutter avec les fils de la lumière
et reconnaissez la divinité de Jupiter et d'
Apollon. Les
Dieux d'en haut
vous parlent par ma bouche. Je viens en ami, si vous m'écoutez ; en
juge,
si vous refusez de m'entendre.
Parle, dirent les chefs.
Debout sous un grand orme, Orphée parla. Il parla
des bienfaits des
Dieux, du charme de la lumière céleste, de cette
vie pure qu'il menait là-haut avec ses
frères initiés sous
l'il du grand Ouranos et qu'il voulait communiquer à tous les hommes
; promettant d'apaiser les
discordes, de guérir les malades, d'enseigner
les semences qui produisent les plus beaux
fruits de la terre, et celles plus
précieuses encore qui produisent les
fruits divins de la vie : la joie,
l'
amour, la beauté. Et tandis qu'il parlait, sa voix grave et douce vibrait
comme les cordes d'une lyre et descendait toujours plus avant dans le cur
des Thraces ébranlés. Du fond des
bois, les
Bacchantes curieuses,
leurs torches à la main, étaient venues aussi, attirées par
la musique d'une voix humaine. A peine vêtues de la peau des panthères,
elles vinrent montrer leurs seins bruns et leurs flancs superbes. A la lueur des
nocturnes flambeaux, leurs yeux brillaient de
luxure et de cruauté. Mais,
calmées peu à peu par la voix d'Orphée, elles se groupèrent
autour de lui ou s'assirent à ses pieds comme des bêtes fauves domptées.
Les unes, saisies de remords, fixaient à terre un regard sombre ; les autres
écoutaient comme ravies. Et les Thraces émus murmuraient entre eux
: « C'est un
Dieu qui parle, c'est
Apollon lui-même qui charme les
Bacchantes ! »
Cependant, du fond des
bois, Aglaonice épiait. La
grande
prêtresse d'
Hécate,
voyant les Thraces
immobiles et les
Bacchantes
enchaînées par une magie plus forte que la sienne, sentit la victoire
du
ciel sur l'enfer, et son pouvoir maudit s'écrouler dans les ténèbres
d'où il était sorti, sous la parole du divin séducteur. Elle
rugit ; et se jetant devant Orphée d'un effort violent :
Un
Dieu, dites-vous
? Et moi je vous dis que c'est Orphée, un homme comme vous, un magicien
qui vous trompe, un tyran qui s'arroge vos
couronnes. Un
Dieu, dites-vous ? le
fils d'
Apollon ? Lui ? le
prêtre ? le
pontife orgueilleux ? Qu'on se jette
sur lui ! S'il est
Dieu, qu'il se défende... et si je mens, qu'on me déchire
!
Aglaonice était suivie de quelques chefs excités par ses
maléfices
et enflammés de sa haine. Ils se ruèrent sur l'
hiérophante.
Orphée poussa un grand cri et tomba percé de leurs
glaives. Il tendit
la main à son
disciple et dit :
Je meurs ; mais les
Dieux sont vivants !
Puis, il expira. Penchée sur son cadavre, la magicienne
de Thessalie, dont le visage ressemblait maintenant à celui de Tisiphône,
épiait avec une joie sauvage le dernier souffle du prophète et s'apprêtait
à tirer un oracle de sa victime. Mais quel fut l'effroi de la Thessalienne,
en
voyant cette tête cadavéreuse se ranimer à la lueur flottante
de la torche, une pâle rougeur se répandre sur le visage du mort,
ses yeux se rouvrir tout grands et un regard profond, doux et terrible se
fixer
sur elle
tandis qu'une voix étrange la voix d'Orphée
s'échappait une fois encore de ces lèvres frémissantes
pour prononcer distinctement ces trois syllabes mélodieuses et vengeresses
:
Eurydice !
Devant ce regard, à cette voix, la
prêtresse épouvantée
recula en s'écriant : Il n'est pas mort ! Ils vont me poursuivre ! à
jamais ! Orphée...
Eurydice ! » En jetant ces mots, Aglaonice disparut
comme fouettée par cent
Furies. Les
Bacchantes affolées et les Thraces
saisis par l'horreur de leur crime, s'enfuirent dans la nuit en poussant des cris
de détresse.
Le
disciple resta seul près du
corps de son maître. Lorsqu'un rayon sinistre d'
Hécate vint éclairer le lin ensanglanté et la face pâle du grand
initiateur, il lui sembla que la vallée, le
fleuve, les
montagnes et les
forêts profondes gémissaient comme une grande lyre.
Le
corps d'Orphée fut brûlé par ses
prêtres et ses cendres portées dans un
sanctuaire lointain d'
Apollon, où elles furent vénérées à l'égal du
Dieu.
Aucun des révoltés n'osa monter au temple de Kaoukaïôn. La tradition d'Orphée, sa science et ses mystères s'y perpétuèrent et se répandirent dans tous les temples de Jupiter et d'
Apollon. Les poètes grecs disaient qu'
Apollon était devenu jaloux d'Orphée, parce qu'on l'invoquait plus souvent que lui. La vérité est que lorsque les poètes chantaient,
Apollon, les grands
initiés invoquaient l'
âme d'Orphée, sauveur et divinateur.
Plus tard les Thraces convertis à la
religion d'Orphée racontèrent qu'il était descendu aux enfers pour y chercher l'
âme de son
épouse, et que les
Bacchantes jalouses de son
amour éternel l'avaient mis en pièces ; mais que sa tête jetée dans l'Ebre et emportée par ses flots orageux, appelait encore :
Eurydice !
Eurydice !
Ainsi les Thraces chantèrent comme un prophète celui qu'ils avaient tué comme un criminel et qui les avait convertis par sa mort. Ainsi le verbe orphique s'infiltra mystérieusement dans les veines de l'
Hellénie par les voies secrètes des
sanctuaires
et de l'
initiation. Les
Dieux s'accordèrent à sa voix, comme dans le temple un chur d'
initiés aux sons d'une lyre invisible et l'
âme d'Orphée devint l'
âme de la Grèce.