CHAPITRE XVI
Le sentier proprement dit
C'est au cours des quatre périodes marquant cette
division du sentier qu'il faut rejeter les dix
Samyojana, ou entraves, qui lient l'homme au cercle des renaissances et l'empêchent d'atteindre le
Nirvâna. C'est ici qu'apparaît la différence entre cette période, où le
disciple se lie par des engagements, et la précédente. Il ne s'agit plus maintenant de s'affranchir plus ou moins des entraves. Avant de pouvoir passer d'un stade à l'autre, le candidat doit être
absolument délivré de certains de ces liens. Or, leur énumération donnera une idée de la sévérité de cette exigence, et l'on ne s'étonnera pas de lire dans les livres sacrés que sept incarnations sont parfois nécessaires pour franchir cette
division du sentier.
Chacun de ces quatre pas, ou stades, est à son tour divisé en quatre parties. Chacun présente en effet :
1. le
Maggo, ou chemin, dans lequel l'étudiant s'efforce de rejeter ses liens ;
2. le
Phala, résultat ou
fruit, dans lequel le résultat de cet effort lui apparaît de plus en plus nettement ;
3. le
Bhavagga, ou achèvement, période où, le résultat étant obtenu, l'étudiant devient capable d'accomplir d'une manière satisfaisante la tâche spéciale au niveau où il se maintient fermement aujourd'hui ;
4. le
Gotrabhu marquant, comme précédemment, l'heure où il devient digne de recevoir l'
initiation suivante.
Le premier stade est :
I. SOTAPATTI ou SOHAN
L'élève qui s'est élevé jusque-là est nommé le
Sowani ou
Sotâpanna « celui qui est entré dans le
fleuve » ; car désormais, si ses progrès peuvent être lents, s'il peut succomber à des tentations plus subtiles et se détourner momentanément de sa voie, il ne peut plus abandonner entièrement la spiritualité et devenir un homme frivole. Il est entré dans le courant de l'évolution humaine supérieure, et décisive, dans lequel doivent être entrés tous les hommes vers le milieu de la prochaine ronde, sous peine d'être laissés en arrière, comme temporairement insuffisants, par la Grande onde vitale, et d'avoir à attendre, pour faire de nouveaux progrès, la prochaine chaîne cosmique.
L'élève en état de recevoir cette
initiation a donc dépassé la majorité humaine de toute une ronde autour de nos sept planètes et, par là, s'est mis définitivement à l'abri de la possibilité d'abandonner le courant dans la cinquième ronde. Voilà pourquoi il est quelquefois appelé « le sauvé » ou « celui qui est en sûreté ». Cette idée, dénaturée, a donné lieu à la curieuse théorie du salut, promulguée par une certaine partie de l'
Eglise chrétienne. Le « salut éternel », mentionné dans quelques-uns de ses écrits, met l'homme à l'abri, non pas (comme les
ignorants l'ont supposé d'une manière blasphématoire) des tortures éternelles, mais simplement de la possibilité de perdre le reste de ce « siècle » ou de cette dispensation, en ne suivant pas la marche du progrès. Tel est aussi, naturellement, le sens de la célèbre clause de la confession de saint Athanase : « Tout homme voulant être sauvé, doit avant tout posséder la foi
catholique. » (Voyez
Le Credo chrétien, de Charles Webster Leadbeater, p. 126.) Les entraves à rejeter par le
disciple, avant de pouvoir passer au stade suivant, sont :
1. Sakkâyaditthi l'illusion du moi ;
2. Vichikichchhâ le doute ou l'incertitude ;
3. Sîlabbataparâmâsa la superstition.
La première est la conscience du « moi ». Si on l'identifie avec la personnalité, elle n'est qu'une illusion et il faut s'en défaire
dès l'entrée dans le véritable sentier ascendant. Mais la suppression complète de cette entrave signifie plus encore ; elle implique la réalisation de ce fait : que l'individualité, elle aussi, ne fait en vérité qu'un avec le Tout ; qu'elle ne saurait par suite avoir des intérêts contraires à ceux de ses
frères et que ses propres progrès sont en raison directe de l'aide qu'elle donne aux progrès d'autrui.
Le signe essentiel, le sceau, marquant l'arrivée au niveau du Sotâpatti, est la première admission de l'élève au plan venant immédiatement après le plan mental et généralement appelé plan bouddhique. Ce que l'élève pourra éprouver, même avec l'aide de
son Maître, ne sera peut-être, ou plutôt certainement, que le plus fugitif effleurement de cet état prodigieusement
exalté, mais ce simple effleurement est une chose désormais inoubliable, ouvrant à ses regards un monde nouveau et faisant subir à ses sentiments et à ses idées une transformation totale. Pour la première fois, grâce à l'expansion de conscience propre à ce plan, l'élève comprend vraiment l'unité sous-jacente de tous, non pas simplement par une
conception intellectuelle, mais comme un véritable fait, manifeste à ses yeux dessillés ; pour la première fois il a sur le monde où il vit des notions exactes ; pour la première fois il est à même d'entrevoir ce que peuvent être l'
amour et la
compassion des Grands Maîtres.
Relativement à la deuxième entrave, il est un point contre lequel le lecteur doit être mis en garde. Elevés dans les habitudes d'
esprit européennes, nous sommes malheureusement si familiarisés avec l'idée qu'une adhésion aveugle et irraisonnée à certains dogmes peut être exigée d'un
disciple, qu'en
voyant l'occultiste envisager le doute comme un obstacle au progrès nous sommes tentés de supposer qu'à l'exemple des superstitions modernes, il exige de ses
sectateurs la même foi soumise. Aucune idée ne saurait être plus entièrement fausse.
Le doute (ou plutôt l'incertitude) sur certaines questions empêche assurément les progrès spirituels, mais ce doute a pour antidote, non pas la foi aveugle (considérée elle aussi, comme une entrave, nous le verrons plus loin) mais la certitude d'une conviction basée sur l'expérience individuelle ou le raisonnement mathématique. Tant qu'un
enfant n'est pas certain de l'exactitude de la table de multiplication, il a peu de chances d'apprendre les mathématiques plus avancées ; ses doutes ne peuvent être dissipés d'une manière satisfaisante que s'il arrive à comprendre, par le raisonnement ou par l'expérience, l'exactitude des affirmations de la table ; s'il croit que deux et deux font quatre, ce n'est pas seulement parce qu'on le lui a dit, mais parce que ce résultat est devenu pour lui un fait évident en soi. Or, c'est exactement la méthode, et la seule méthode, pratiquée en occultisme pour vaincre le doute.
Mettre en doute les doctrines du Karma et de la réincarnation et aussi la possibilité d'atteindre le bien suprême par le sentier de la sainteté, voilà, suivant une définition donnée, ce qu'il faut entendre par Vichikichchhâ. En rejetant ce Samyojana on arrive à la certitude absolue, ayant pour base soit la connaissance personnelle et directe, soit la raison que l'enseignement
occulte concernant ces questions est dans le vrai.
La troisième entrave à briser comprend toute
croyance irraisonnée ou fausse, toute
disposition à faire dépendre
des
rites et des cérémonies extérieures la purification morale.
Pour arriver à rejeter cette entrave, l'homme doit apprendre à ne
compter que sur lui-même et non pas sur les autres ni sur la forme extérieure
d'aucune
religion.
Les trois premières entraves constituent une série.
La différence entre l'individualité et la personnalité étant
pleinement réalisée, il devient possible, dans une certaine mesure,
d'examiner le processus de la réincarnation et par suite de ne plus avoir
aucun doute à cet égard. Cela fait, l'assurance que le véritable
ego est spirituellement permanent donne au
disciple la confiance en sa propre
force spirituelle et met fin à la superstition.
II. SAKADAGAMI
L'élève admis à ce deuxième stade est désigné
sous le nom de
Sakâdâgain « l'homme qui ne reviendra
plus qu'une fois » ; en d'autres termes, un homme arrivé à ce
niveau ne devrait plus avoir besoin que d'une seule incarnation pour atteindre
le grade d'Arhat. En faisant ce deuxième pas, l'élève ne
rejette pas d'autres entraves, mais il s'efforce de réduire à leur
minimum celles qui l'enchaînent encore. Cette période n'en est pas
moins marquée, généralement, par un développement
psychique et intellectuel considérable.
Les facultés, ordinairement appelées psychiques
n'ont-elles pas encore été acquises, elles doivent s'éveiller
pendant cette période, car sans elles il n'y aurait pour l'élève
ni assimilation possible des connaissances qui doivent maintenant lui être
communiquées, ni aptitude à travailler d'en haut pour l'humanité,
tâche à laquelle il a dorénavant le privilège de collaborer.
Il doit pouvoir disposer de la conscience astrale pendant l'état de veille
physique et, pendant le sommeil, le monde céleste lui sera ouvert, car
la conscience d'un homme séparé de son
corps physique se trouve
toujours au degré immédiatement supérieur à celui
où elle fonctionne quand l'homme porte encore le poids de sa prison de
chair.
III. ANAGAMI
L'
Anagâmin (celui qui ne reviendra plus) est
ainsi appelé parce que, ce degré étant atteint, il devrait
pouvoir s'élever au suivant dans son incarnation présente. Tout
en vaquant à sa tâche journalière, il jouit des nombreuses
et magnifiques possibilités de progrès que lui donne l'entière
possession des inestimables facultés propres au monde céleste et,
la nuit, en quittant son enveloppe physique, il retrouve de nouveau la conscience
merveilleusement élargie qui distingue le buddhi. Ce pas accompli, il se
dégage définitivement des derniers vestiges qui pourraient encore
persister en lui de :
4. Kâmarâga l'attachement
aux joie de la sensation ayant pour type l'
amour terrestre, et de :
5. Patigha toute possibilité
d'éprouver de la colère ou de la haine.
Le novice qui a rejeté ces entraves ne peut plus être
entraîné par l'
influence de ses sens, ni vers l'
amour, ni vers la
haine ; les conditions du plan physique ne peuvent plus
inspirer ni attachement,
ni impatience.
Ici encore nous devons nous mettre en garde contre une erreur possible et que nous rencontrons souvent. L'
amour humain, sous sa forme la plus pure et la plus élevée, ne meurt jamais ; l'entraînement
occulte ne lui porte jamais aucune atteinte. L'
amour grandit et s'élargit jusqu'au point de se répandre sur l'humanité tout entière, avec la ferveur qu'il ne prodiguait d'abord qu'à un ou deux hommes. Du reste, l'étudiant finit par s'élever au-dessus de toutes les considérations basées sur la simple personnalité de ceux qui l'entourent ; il est donc dégagé de toute l'injustice et de toute la partialité qui accompagnent si souvent l'
amour ordinaire.
Ne supposons pas non plus un seul instant, qu'en acquérant cette large affection pour tous il perde l'
amour particulier pour ses amis plus
intimes. L'union exceptionnellement parfaite entre Ananda et le Bouddha, saint Jean et
Jésus, est une preuve que cet
amour grandit, au contraire, dans
des proportions immenses. Le lien entre un Maître et ses élèves est bien plus puissant qu'aucune attache terrestre, car l'affection, telle qu'elle
règne sur le sentier de la sainteté, est une affection entre egos et non pas simplement entre personnalités ; aussi est-elle forte et durable
sans crainte de diminution ni de changement, car elle est cette « parfaite
charité qui bannit la crainte
(6) ».
IV. ARAHAT (le vénérable, le parfait)
En atteignant ce niveau, l'aspirant jouit en permanence de la conscience du plan bouddhique et peut en employer les
forces et les facultés, alors même qu'il occupe son
corps physique ; mais quand il quitte ce
corps, pendant le sommeil ou l'extase, il passe immédiatement dans la gloire indicible du plan nirvânique. Dans ce stade, l'occultiste doit
dépouiller les derniers vestiges des cinq entraves qui subsistent encore, c'est-à-dire :
6.
Rûparâga le désir de la beauté objective ou de l'existence physique, sous une forme quelconque, y compris celle du monde céleste.
7.
Arûparâga le désir de l'existence séparée de la forme.
8.
Manô l'orgueil.
9.
Uddhachcha l'agitation ou l'irritabilité.
10.
Avijja l'
ignorance.
Ici nous pouvons remarquer qu'en rejetant Rûparâga l'occultiste
dépouille du même coup, non seulement le désir de l'existence terrestre, même la plus grandiose et la plus noble, et de la vie astrale ou dévachanique, même la plus glorieuse, mais encore toute
disposition à être influencé ou rebuté en rien par la beauté ou la laideur extérieures d'aucune personne, ni d'aucun objet.
Arûparâga, le désir de vivre, aussi bien sur les niveaux les plus élevés et où la forme est la plus absente, que, plus haut encore, sur le plan bouddhique, serait simplement un genre d'égoïsme plus relevé et moins sensuel ; il faut donc s'en défaire, tout comme des désirs inférieurs.
Le vrai sens d'
Uddhachcha est «
disposition à l'agitation mentale ». L'homme définitivement dégagé de cette entrave conserve un calme inaltérable, quoi qu'il lui arrive : aucune circonstance ne saurait avoir prise sur sa majestueuse sérénité.
Se délivrer de l'
ignorance implique naturellement l'acquisition d'un savoir complet, l'omniscience, à vrai dire, en ce qui concerne notre chaîne planétaire.
Quand toutes ces entraves ont bien disparu, l'ego atteint dans son ascension la cinquième période, celle de l'
adepte accompli, et devient :
V. ASEKHA, « celui qui n'a plus rien à apprendre »
(toujours en ce qui concerne notre chaîne planétaire)
Il nous est tout à fait impossible de comprendre, dans notre stade actuel, en quoi peut consister ce nouveau grade. Toutes les splendeurs du plan nirvânique, l'
adepte les contemple, même à l'état de veille. Juge-t-il à propos de quitter son
corps, il a le pouvoir d'aborder un état encore plus
exalté, un plan qui n'est pour nous qu'un mot. Comme l'explique le professeur Rhys Davids : « Il est maintenant sans aucun péché ; il voit toutes les choses de ce monde et les estime à leur véritable valeur ; tout principe mauvais ayant été arraché de, son
âme, il n'éprouve pour lui-même que des désirs vertueux ; pour les autres il ne respire qu'une tendre
compassion et un
amour immense. »
Pour montrer combien peu il a perdu le sentiment de l'
amour, voici, suivant la Mettra Sutta, l'état d'
esprit d'un
adepte arrivé à ce niveau :
« L'
amour d'une mère qui, au risque de sa propre vie, protège son fils unique, tel est l'
amour à témoigner à tous les êtres. Que la bonne volonté surabonde et règne dans le monde entier, en haut, en bas, tout autour, sans restrictions, sans mélange d'aucun intérêt dissemblable ou contraire. Quand un homme demeure
immuablement dans cet état d'
esprit, qu'il soit debout ou en marche, assis ou couché, alors est accomplie la parole de l'Ecriture : « En cette vie même a été trouvée la sainteté. »
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(1) Saint Jean, IV, 18.